Vie de Saint Benoît par Saint Grégoire, Pape.

Chapitre XXIII : Les deux religieuses excommuniées.

  1. Grégoire : Il s'en faut de beaucoup, Pierre, que son langage courant ait manqué du poids des miracles, car son cœur se maintenait sans cesse dans les hauteurs, et jamais les paroles qui tombaient de sa bouche ne restaient sans effet. Mais s'il lui arrivait parfois de dire une chose, non pas sur le mode du jugement mais de la simple menace, sa parole avait un tel pouvoir qu'elle agissait non pas comme s'il l'avait proférée de manière dubitative ou conditionnelle mais comme une sentence.


  2. Effectivement, non loin de son monastère, il y avait deux religieuses moniales, issues de famille noble, qui vivaient dans un lieu approprié : un homme, très religieux, leur offrait ses services pour les nécessités de la vie extérieure. Mais il arrive, chez certaines personnes, que la noblesse de leur origine engendre la bassesse de l'esprit et ceux qui se rappellent avoir été plus que d'autres en quelque domaine sont moins disposés à se mépriser eux-mêmes en ce monde : ainsi, nos deux religieuses moniales n'avaient pas encore acquis la retenue parfaite de la langue malgré le frein qu'aurait dû constituer leur habit, et bien souvent, par des paroles inconsidérées, elles provoquaient la sourde colère de cet homme religieux qui s'était dévoué à leur service pour les rapports avec l'extérieur.


  3. Après avoir longtemps supporté cette situation, il vint trouver l'homme de Dieu et lui rapporta toutes les paroles outrageantes qu'il avait à subir. Entendant raconter tout cela à leur sujet, l'homme de Dieu leur envoya dire aussitôt : " Corrigez votre langue ! Car si vous ne vous améliorez pas, je vous excommunie. " A vrai dire, cette sentence d'excommunication n'était pas exécutoire, mais proférée seulement sous forme de menace.


  4. Cependant, n'ayant rien changé à leurs habitudes antérieures, elles moururent au bout de quelques jours et on les enterra dans l'église. Mais lorsqu'on célébrait la messe solennelle dans cette église et que le diacre faisait la proclamation rituelle : " Si quelqu'un n'est pas en communion, qu'il se retire ! ", leur nourrice (elle avait pris l'habitude d'apporter pour elles une offrande au Seigneur), leur nourrice, donc, les voyait sortir de leur sépulcre et quitter l'église. Comme elle avait remarqué assez souvent qu'elles sortaient lorsque le diacre lançait sa monition et qu'alors elles ne pouvaient demeurer à l'intérieur de l'église, il lui revint en mémoire ce que l'homme de Dieu leur avait fait dire de leur vivant : à savoir qu'il les exclurait de la communion si elles ne corrigeaient pas leurs mœurs et leurs paroles.


  5. Alors, avec une grande tristesse, on le fit savoir à l'homme de Dieu, lequel aussitôt, de sa propre main, donna une offrande en disant : " Allez et faites offrir cette oblation au Seigneur à leur intention, et après, elles ne seront plus excommuniées. " Or, comme le sacrifice était offert pour elles et que le diacre proclamait comme de coutume que ceux qui n'étaient pas en communion devaient sortir de l'église, on ne les vit plus sortir. De ce fait, il fut patent et indubitable que si elles ne se retiraient plus du tout avec le groupe de ceux qui étaient exclus de la communion, c'est qu'elles avaient recouvré cette communion par la grâce du Seigneur et par l'intervention du serviteur de Dieu.


  6. Pierre : C'est tout à fait admirable de voir qu'un homme, vénérable et très saint, certes, mais vivant encore dans cette chair corruptible, ait pu absoudre des âmes tombées déjà sous le coup de ce jugement invisible.

    Grégoire : Voyons, Pierre, est-ce qu'il n'était pas encore dans la chair, celui qui s'était entendu dire : « Tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux et ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux » ? Et maintenant, ils ont reçu sa fonction de lier et de délier ceux qui sont en place pour exercer le saint pouvoir en matière de foi et de mœurs. Mais pour qu'un homme tiré de la terre ait un tel pouvoir, le Créateur du ciel et de la terre est venu du ciel sur la terre. Et si la chair peut être juge des esprits eux-mêmes, c'est que le Dieu fait chair pour les hommes a daigné lui accorder cela, car la raison pour laquelle notre faiblesse s'est élevée au-dessus d'elle-même, c'est que la force de Dieu s'est faite faiblesse, s'abaissant au-dessous d'elle-même.


  7. Pierre : La puissance de ce raisonnement s'accorde bien avec celle des miracles évoqués.

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